Description des événements relatés par David
et Florence Masson, volontaires français vivant à Sucre, en Bolivie.
La crise bolivienne commencée six semaines
auparavant, dans la ville de El Alto, ce faubourg populaire géant
de la ville de La Paz, s'est soldée par la démission vendredi 17
octobre, du président Sanchez de Lozada, dit Goni..
La vente du gaz bolivien :
Au départ, un projet gouvernemental de faire transiter par le Chili,
le gaz qui doit être vendu aux USA et au Mexique déclenche une grève
générale d'une journée. Le gouvernement déclare alors que tout est
déjà décidé et qu'il n'y a rien à discuter. Le 11 septembre, un
organisme appelé la "coordination de la défense du gaz" appelle
à une marche nationale pour protester contre cette décision gouvernementale.
A cette occasion, un dirigeant syndical de La Paz est arrêté et
emprisonné. A partir de là, un mouvement très déterminé débute,
dans la région de l'Altiplano située entre La Paz et la frontière
péruvienne, pour libérer ce dirigeant: barrages sur les routes,
grèves de la faim. Sous la pression des ambassades occidentales,
en particulier celle des USA, le gouvernement ordonne à l'armée
d'intervenir pour lever un barrage qui bloque quelques dizaines
de touristes et les empêche de rejoindre La Paz. Dans cette intervention,
5 personnes sont tuées.
Radicalisation du mouvement :
Sur le plan national, ces événements réveillent d'autres mouvements
de revendications qui, depuis des mois, attendent des solutions
de la part du gouvernement : les retraités qui ne touchent plus
leurs pensions, les étudiants dont les crédits universitaires ne
sont pas débloqués, et les mineurs, qui demandent un appui au gouvernement
pour réactiver l'exploitation minière, entre autres secteurs. La
Centrale Ouvrière Bolivienne, fin septembre, dans un congrès national,
appelle à une grève générale indéfinie. La demande est l'abrogation
de certains décrets qui régissent la politique économique et la
politique sur les hydrocarbures en Bolivie. Pendant les deux premières
semaines d'octobre, la pression monte lentement dans le pays: blocages
"éclairs" des routes, manifestations (en général assez) tranquilles
dans les villes du pays. A La Paz et El Alto, devant l'absence de
réaction du gouvernement, qui cherche à laisser pourrir la situation,
une grève générale "civique" débute, accompagnée de manifestations
de plus en plus suivies et du blocage de la circulation. Le blocage
de El Alto signifie la coupure de La Paz de toute la partie sud
du pays et rend difficile l'accès à l'aéroport. Du côté de la sortie
nord, les cocaleros décident, eux aussi, de bloquer la sortie de
La Paz, isolant la capitale du reste du pays. Dans le reste du pays,
les mouvements de protestation s'organisent peu à peu, en particulier
à Cochabamba, fief du MAS, le seul véritable parti d'opposition
dirigé par Evo Morales.
La riposte du gouvernement :
Le gouvernement décide alors d'envoyer l'armée pour débloquer
El Alto, par tous les moyens. Pendant le week-end du 11 et du 12
octobre, l'armée investit El Alto, avec des auto-mitrailleuses et
tire sur la foule, un peu au hasard, tuant plus de cinquante personnes
et en blessant plusieurs centaines. A partir de ce moment là, l'ensemble
des mouvements demande la démission du président et des milliers
de personnes convergent vers La Paz : paysans, cocaleros, mineurs.
Pendant la semaine qui vient de s'écouler, l'ensemble du pays est
paralysé : routes bloquées, manifestations quotidiennes dans les
principales villes. On sent l'ensemble de la population déterminée
à tout faire pour obtenir la démission du président, et dans le
même temps, une volonté d'éviter de nouveaux affrontements, que
ce soit du côté des manifestants comme des forces de l'ordre. Peu
à peu, le président est abandonné par ses alliés politiques, certains
ministres, son vice président. L'Église catholique, les journalistes,
la ligue des Droits de l'Homme, le Défenseur du Peuple, et des milliers
de manifestants, tous demandent sa démission. Ces derniers jours,
la ville de La Paz manque de tout, y compris de nourriture. Pendant
un moment, on craint que l'usage de la force soit à nouveau employée,
pour rétablir l'ordre.
Démission du président :
Et puis vendredi 17 octobre, le président décide de donner sa démission.
On s'attend à une déclaration publique et à une passation de pouvoir
à son vice-président, comme le prévoit la constitution. Il n'en
est rien. "Goni" a rédigé sa lettre de démission et, profitant de
ses dernières prérogatives de président, se fait transporter, avec
sa famille et ses plus proches ministres, par hélicoptère, à l'aéroport
militaire, d'où ils s'envolent pour Santa Cruz. Quelques heures
plus tard, il prend la direction des USA, avec ses proches. Le congrès,
réuni en session extraordinaire, accepte sa démission et investit
le vice-président, Carlos Mesa, aux fonctions de président. Celui-ci
déclare qu'il formera un gouvernement avec des personnes sans étiquette
politique, demande aux parlementaires de montrer l'exemple en matière
d'austérité, affirme qu'il va attaquer la corruption de manière
frontale, reconnaît le bien fondé des revendications populaires.
Un discours clair, engagé, responsable, qui est accueilli favorablement
par les partis politiques au pouvoir comme par l'opposition politique
et syndicale.
Quel avenir ?
Globalement, et quelles que soient les suites de cette révolution,
nous considérons que ce qui vient de se passer est une des meilleures
choses qui pouvait arriver au pays. Depuis des années, le pays est
miné par la corruption dans tous les secteurs de la société et en
particulier le monde politique. Il n'existe plus de liens, ni de
confiance entre le pouvoir et la société. Depuis un an, Goni n'a
résolu aucun grand problème. Sa politique, sans projet pour le pays,
était basé sur la défense d'intérêts personnels ou de ses alliés.
Sa politique par rapport à la coca est entièrement dictée par les
USA, tout comme sa politique économique libérale, qui a conduit
à vendre toutes les entreprises rentables et la majorité des ressources
non renouvelables à des multinationales et à quelques capitalistes
du pays. Depuis un an, les mouvements sociaux ont été réprimés de
manière violente. Si les derniers événements ont fait environ 80
morts, ce sont plus de 140 personnes qui ont perdu la vie depuis
l'accession au pouvoir de Goni. Donc, parmi la population, personne
ne regrettera le président déchu. Il reste à savoir de quelle marge
de manœuvre va disposer Carlos Mesa. Si le MAS lui accorde sa confiance
et son soutien, le mouvement du Mallku, le leader paysan de l'Altiplano
a donné 3 mois au nouveau gouvernement pour faire ses preuves. Les
partis politiques, exclus du pouvoir exécutif, sont amers. Quant
aux multinationales, elles ont déjà déclaré que ces évènements sociaux
"passagers" ne changeront rien à ce qui avait été décidé. Souhaitons
que le nouveau président sache garder la confiance populaire dont
il bénéficie actuellement, et que son premier discours puisse se
traduire dans des actions concrètes, au bénéfice des plus démunis.
David et Florence
Masson