ASSOCIATION
D’ECHANGE ET D’ENTRAIDE AUX COMMUNAUTES INDIENNES DE L’ALTIPLANO BOLIVIEN
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L'humain en situation déployait des stratégies de survie centrées sur les besoins du groupe. Chacun trouvait en lui, ou plus encore autour de lui, les solutions à ses besoins de base. Bien évidemment, il devenait hors de question de penser à faire émerger des besoins qui allaient rester insatisfaits. L'économie était au service du groupe, la demande s'imposait à l'offre, et la raison à la rationalité. En effet, la production protégeait les fragiles équilibres sociaux et écologiques : Les équilibres sociaux. Quelque soit sa productivité chacun trouvait une place dans le processus de production-consommation. Lors des semences ou des récoltes les besoins de main d'oeuvre étaient tels que les enfants, les anciens, les handicapés étaient intégrés au groupe productif. La force du lien social était l'atout central des sociétés préindustrielles. Sans chercher à magnifier ces sociétés, il faut reconnaître que la cohésion apparaissait comme l'issue obligatoire d'une société humaine fragilisée. On pouvait parler de pauvreté mais ces populations connaissaient une richesse sociale, relationnelle non négligeable 2. A ce niveau, on peut affirmer qu'aujourd'hui l'individualisme s'impose comme le luxe des sociétés nanties. S'il devient nécessaire de redynamiser la citoyenneté, de retisser le lien social en délitement, cela ne peut se faire sans fouiller dans l'histoire des acteurs sociaux. Les équilibres écologiques. Dans les sociétés préindustrielles, l'humain fait partie de son milieu naturel. Il est un des éléments vivants qui le relie à son environnement écologique. La phronésis au sens d'Aristote ou la raison s'impose comme la philosophie centrale de la relation de l'humain à la nature3. A ce niveau, l'écologie n'est pas une science mais une pratique quotidienne. La terre est un bien collectif, et sa pollution une hérésie. Pour la survie de l'espèce humaine, la bioéconomie 4 centrée sur les équilibres écologiques devra à terme s'imposer à la poursuite effrénée de la croissance. Du même coup, la décroissance 5 s'impose comme l'objectif à atteindre pour retrouver les équilibres écologiques et sociaux de la planète.
Par ailleurs, la pratique permanente et naturelle du don contre-don 9 permettait au groupe de se construire autour des valeurs de solidarité, de fraternité Bien plus qu'une science autonome, l'économie était une pratique intégrée au coeur des sciences humaines. Karl Polanyi 10 parle même d'enchâssement de l'économique et du social. Avec la révolution industrielle, vont progressivement se développer et s'imposer le salariat et la spécialisation des activités productives. D'ailleurs, selon Adam Smith 11, la division du travail doit permettre une progression rapide de la productivité et pousser les nations vers la richesse. Mais de quelle richesse parle-t-on ? La richesse n'est-elle que matérielle ? Oui à en croire les indicateurs qui permettent encore de mesurer la richesse des Nations. Le PIB ou le PNB sont en effet des instruments quantitatifs qui enregistrent les évolutions des valeurs ajoutées et ne tiennent pas compte des productions qualitatives. Il y a peu, un débat s'est engagé autour du rapport Viveret 12 et de l'utilité sociale des associations 13. La production de biens serait-elle plus importante que la production de lien ? C'est, en effet, le constat que l'on peut faire aujourd'hui. En conséquence, l'économie se désenchâsse du social. Elle s'émancipe des sciences humaines. Cette profonde mutation va tourner le dos à des siècles de survie et de mise en situation des acteurs sociaux sur la planète. L'efficience rationnelle s'impose à l'efficacité raisonnable et la logique du profit de court terme 14 aux fragiles équilibres sociaux et écologiques. L'économie se définira alors, comme la science des choix rationnels et va emprunter aux mathématiques la logique implacable de la rationalité modélisée. Cela se fera sous le sceau de la science, car les économistes vont emprunter un discours expert qui va éloigner les citoyens d'une matière et d'une pratique qui leur est propre. Lorsque les individus vont commencer à se désintéresser des questions de société et du débat sur l'organisation économique, on rentrera alors dans l'économisme 15. En effet, les économistes vont imposer des représentations du monde modélisées en fonction des paramètres rationnels de l'homoéconomicus. Soutenus par le pouvoir en place, ils affirment leur emprise en éteignant tout débat derrière le diktat de la science. La pensée néo-classique impose progressivement une mathématique ou une physique économique et sociale hors de tout lien avec le réel. Ils ont transformé l'économie en une science hors sol incapable d'apporter une réponse aux légitimes questions existentielles de la population. L'expertise s'est alors transformée en expertisme 16 tout en confisquant au citoyen le soin de penser son présent et bien évidemment son futur. Il est grand temps aujourd'hui, de réintroduire l'incertitude et les questions de fond dans le débat démocratique. Ce dernier est, en effet, réduit à sa plus simple expression, l'essentiel ne se discute plus. Les grandes décisions ne sont plus soumises au débat populaire. Les solutions proposées en amont sont toujours présentées comme l'évidence et ne sont jamais l'émanation d'un véritable débat démocratique. Nous avons un besoin imminent d'une prise de parole collective sur les enjeux de ce monde. Pour cela, le citoyen ne doit pas abandonner aux experts le débat sur les questions qui le concerne. Il doit rester maître d'oeuvre de ses choix en toute connaissance de causes. L'économie se serait-elle substituée à la politique et au social ? Le pouvoir dominant lui aurait-il accordé une rente de situation où elle pourrait s'imposer en amont aux autres sciences humaines ? Les superstructures sociales ne pourraient alors qu'accepter les choix opérés dans la sphère économique. Or, dans le même temps, le marché s'impose progressivement comme le paradigme dominant. L'omnimarchandisation 17 des activités sociales est la particularité de notre société en ce début de millénaire. Elle participe de la déstructuration des fragiles équilibres sociaux et écologiques. Elle a même réussi la colonisation des esprits et l'institutionnalisation de la domination 18 . En effet, il faut bien le constater, la filière s'est inversée 19, l'offre s'impose aujourd'hui à la demande. L'économie n'est plus au service de la société. Elle n'est plus un moyen de satisfaire les besoins de la collectivité mais une fin. Développant par là même une philosophie et des stratégies désenchâssées de la réalité sociale. A ce niveau le rôle des médias a été prépondérant 20. Ils ont imposé progressivement ce modèle comme le seul capable d'assurer la survie des populations de la planète. Et cela, tout en sous-estimant que cette évolution assurait la richesse matérielle d'une minorité au détriment de la misère d'une majorité d'humains. L'objectif affiché est, maintenant, de fabriquer des gagnants, comme si un gagnant n'était pas, par définition un producteur de perdants. En mettant en avant cette attitude de combat permanent de chacun contre tous, les économistes ont enfermé les acteurs sociaux dans un puissant déterminisme. Si d'autres mondes sont possibles ce sera au citoyen émancipé de les imposer.
Claude LLENA.
Septembre 2003
1 Emile
Durkheim in, Division du travail social. Ed. PUF. 1967. Formes de
solidarités naturelles que l'auteur opposait aux solidarités organiques
créées dans les ateliers lors de la révolution industrielle. Il est
à signaler que dans l'esprit de Durkheim, c'est la pression démographique
des territoires qui va pousser les humains à s'organiser autrement
et déplacer les solidarités des communautés vers les lieux de production.
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