BILAN  DE  NOTRE  PRESENCE  A  PISAQUIRI

 

Année 1995

  

1. INTRODUCTION.

 

         Un an de vie dans une communauté andine des hauts plateaux boliviens, à 3700m d’altitude, à trois heures de camion et sept heures de marche à pied de Potosi, la ville la plus proche, avec un enfant de trois ans et un bébé de quelques mois, a été pour nous une expérience de vie particulièrement intense en questionnements, en admiration, en doutes, en remise en question, en joies, en fatigue, en inquiétudes...

         Et comme toute expérience de vie intense, on éprouve à un moment donné l’envie de la relater. L’une des manières de relater est bien sûr celle d’écrire. Ce que nous écrivons à travers ces quelques pages est ce que nous ressentons, trois mois après avoir quitté Pisaquiri, comme le témoignage de notre vie là-bas à ce moment; c’est-à-dire quelque chose de tout à fait personnel, et par conséquent pas forcément objectif, pas forcément logique dans l’échelle des valeurs, et surtout pas exhaustif. Un an c’est peu pour vivre ce genre d’expérience,- d’autant plus considérant le rythme de vie andine -, et apporte sa dose de frustration lorsqu’on arrive au terme. Mais notre objectif n’étant ni de faire une analyse approfondie de cette réalité, ni une étude anthropologique, ni la réalisation d’une mission particulière, mais plutôt de faire un bout de chemin avec les communautaires, de partager nos vies à un moment donné; alors le temps n’a pas la même importance. Ce que nous avons vécu avec eux, nous l’avons vécu avec ses joies et ses peines au quotidien, comme les communautaires vivent au quotidien, libérés d’un lot de questions sur l’avenir, qui empêchent parfois de vivre le présent. Avec nos deux enfants en bas âge, dans ces conditions de vie, nous  savions que nous n’étions pas à l’abri de certains risques. Mais quelque  chose nous poussait à faire ce choix et nous étions décidés de l’assumer.

 

 

2. L’ APPROCHE.

 

            Notre première visite de la zone date de 1988, quand, lors de notre voyage de découverte en Amérique du Sud, Pierre Marmilloud, prêtre français à Potosi nous avait donné l’opportunité de la découvrir. A ce moment, rien n’était fait pour que nous y remettions les pieds un jour, et pourtant une intuition nous chuchotait le contraire. En effet, cette zone nous est devenue familière, trois ans après, lorsque nous revenions vivre et travailler à Potosi. L’équipe de l’association ATEC  (Apoyo Tecnico y Educativo a la Comunidad) - à laquelle Thierry s’est intégré dès notre arrivée et Françoise plus tard -­­, travaillait dans cette zone et y a renforcé, dès lors, sa présence.

            Nous avons rapidement fait la connaissance de Pedro Condori, ce personnage peu commun, dirigeant syndical de la communauté de Pisaquiri, avec qui nous avons peu à peu tissé des liens d’amitié; plus tard Pedro a livré son témoignage, que Françoise a recueilli dans le livre “Nous les Oubliés de l’Altiplano”, aux éditions l’Harmattan, livre actuellement en vente ou sur commande en librairie.

            Notre attrait pour la communauté de Pisaquiri est allé en s’amplifiant. Nos visites là-bas, comme les rencontres avec certains communautaires à Potosi nous procuraient toujours un grand plaisir. Pisaquiri est une communauté andine originaire, qui n’a pas été touchée par le système des haciendas, et conserve par conséquent son caractère traditionnel, à travers son système d’organisation, ses coutumes, sa façon de s´habiller... C’est une communauté qui, jusqu’alors, n’effectue une migration à la ville que de manière temporaire.

            Cette communauté nous attirait d’autre part, à cause de son caractère rude, rudesse autant de ses conditions de vie et de sa pauvreté, que de ses conditions climatiques et d’éloignement. Peu à peu se forgeait en nous l’idée d’aller y vivre.

 

Y vivre, mais pourquoi et qu’y faire?        

            L’objectif de notre présence à Pisaquiri est défini: nous souhaitons aller vivre et partager la vie des communautaires, afin de mieux comprendre leur vie et mieux les connaître. A partir de là, nous pensons qu’il sera plus facile de les aider de manière adéquate. A travers ce partage de vie, nous pensons travailler avec eux et les aider dans ce qu’on sait faire.

 

 

3. NOTRE  ARRIVEE  A  PISAQUIRI.

 

            Thierry: Nous sommes arrivés à Pisaquiri, après avoir demandé à la communauté son autorisation pour nous y installer. J’avoue que c’est la première fois que j’avais la gorge serrée pour parler face à la communauté. Certainement parce que j’avais peur qu’ils ne comprennent pas notre démarche; mais en même temps, j’étais pratiquement sûr d’une réponse positive. D’autre part, c’était la première fois que je demandais à la communauté quelque chose pour moi.

            Lorsque nous y avons débarqué, le local qui était en construction pour ATEC n’était pas terminé; nous avons donc passé les premiers jours dans un local de l’école. Nous n’avions pas de gaz, et le bois que nous aurions pu ramasser pour faire un peu de cuisine était mouillé par une pluie diluvienne. Nous avons mangé quelques victuailles froides et nous nous sommes couchés, en attendant le soleil du lendemain et la possibilité d’aller rendre visite aux autorités.

            Plusieurs communautaires nous ramenaient le soir même nos affaires restées à Talula; nous n’avions rien d’autre à leur offrir qu’un rafraîchissement, mais j’avoue qu’avec du recul, si c’était à refaire, nous nous serions débrouillés pour leur offrir à manger, ainsi que de la coca. Car, en réalité, il s’agissait d’un ayni, - échange d’un service contre un autre. Heureusement, quelques jours après, nous réalisions la ch’alla de notre local d’ATEC ( c’est-à-dire que nous l’arrosions), et nous invitions toute la communauté. Cela concrétisait d’une certaine manière notre arrivée.

 

 

3. NOS  PREMIERS  PAS:

 

            Françoise:Les premiers jours sont pour nous un temps d’observation et de prise de contact. Nous restons stupéfaits vis à vis de beaucoup de choses et sommes choqués par une pauvreté bien plus grande encore que nous ne l’avions imaginée. Nous sommes ébahis de voir les quantités de charges portées à dos d’homme, et ahuris lorsqu’on nous dit que les ânes sont trop faibles pour porter ces charges-là et qu’ils ne résisteraient pas; alors, pour conserver son âne, il vaut mieux qu’eux-mêmes portent le poids! Le travail des hommes est physiquement très dur, voire inhumain.

            Choqués aussi par la résignation que nous rencontrons en particulier chez les femmes pour supporter les naissances non souhaitées, les nombreuses natalités et le peu d’enfants qui survivent. Choqués enfin par l’alimentation par opportunité: lorsqu’il y a à manger, on mange; sinon...

            Rapidement, nous recevons les premières visites à la maison, sans en connaître systématiquement le motif: curiosité, désir de créer des liens, amitié...

            De notre côté, pour favoriser les relations, nous commençons certaines activités: Thierry commence à travailler le jardin. Pour lui, c’est un défi: est-il possible de faire pousser des plantes, autres que des pommes de terre et des fèves à Pisaquiri? Si oui, est-il possible que les communautaires s’y intéressent et commencent à produire eux-mêmes leurs petits légumes. Il fallait essayer...

            Pour ma part, je m’étais rendue compte que les femmes aimaient beaucoup les boucles d’oreilles, et qu’elles en achetaient, pour se parer lors des fêtes. J’avais rapporté de Potosi un peu de matériel pour fabriquer des boucles d’oreille et je me proposais de l’enseigner aux femmes. C’était un matériel connu des femmes: petites perles multicolores qu’elles utilisent pour orner leurs chapeaux ou leurs aguayos [1], fil de fer, pinces. Notre idée était que peu à peu, les femmes ainsi formées puissent vendre ou troquer leur produit et réaliser une petite entrée d’argent.

            Aux premières séances, personne ne vient. Méfiance, mauvaise information, manque de temps?... Peu à peu, elles s’y intéressent et viennent en groupe. C’est l’engouement pour les boucles d’oreilles; je deviens même victime de mon succès: à la fin de la séance, trois paires de boucles d’oreille démonstratives ont disparu... Il est vrai que plusieurs étaient venues par curiosité.

 

            Thierry: Je commence à m’intégrer à la vie de la communauté, à travers ma participation aux travaux collectifs de la communauté, en l’occurrence à cette époque aux travaux de réalisation du système d’eau potable.

            Je travaille avec la pelle et la pioche pour creuser les tranchées des canalisations, selon le rythme des communautaires et avec eux. Je les sens heureux de ma participation et fiers de pouvoir m’enseigner certaines choses. Je passe beaucoup de temps pour aider Adolfo, le maçon, à fabriquer les fontaines et les abreuvoirs, mais je travaille toujours comme “peon”, c’est-à-dire manoeuvre. Cela fait partie de notre démarche.

            Après cela, nous avons travaillé au nettoyage du chemin de Talula à Pisaquiri. Quatre jours de travail durant la période la plus froide de l’année. J’ai appris à vivre au rythme des communautaires: partager l’alcool et la coca avant le travail. J’avais l’impression que cela n’en finissait jamais... car, bien évidemment, il est impensable de commencer à travailler avant que la quantité d’alcool apportée ne se termine...

            Je crois que nous travaillions environ quatre heures par jour seulement. Mais ce temps de travail était violent et très dur,- d’autant plus à 3 700m d’altitude -, et tout le monde travaillait avec acharnement. Il est vrai que le départ au travail ne pouvait avoir lieu avant 9 heures du matin, compte-tenu du travail à la maison le matin et le repas pris avant le départ, en famille. A cela s’ajoutait une heure de marche à pied jusqu’au lieu de travail, puis encore au moins une heure pour le “picheo[2] de coca et d’alcool.

            Les rites du “picheo” ne doivent pas être escamotés. Tout le monde est assis et sort sa “chuspa” dans laquelle sont contenues les feuilles de coca. Silencieusement le plus souvent, chacun commence à mastiquer. Puis, celui qui en ressent l’envie, décide d’offrir momentanément sa “chuspa” à la personne de son choix. Il l’offre tout d’abord à la Pachamama, la déesse de la Terre à travers un geste dans sa direction, puis aux esprits, prononçant une prière et brandissant la “chuspa” en l’air; il baise ensuite sa “chuspa” et enfin la présente à l’interlocuteur choisi. Celui-ci accepte ce geste avec beaucoup de respect, donne la sienne en échange, puis reçoit celle qui lui est offerte en réalisant à nouveau les mêmes rites envers la Pachamama, les esprits, les hommes.

            La distribution de l’alcool a aussi son importance. L’alcool est toujours servi dans deux bouteilles d’un litre pour les hommes ou d’un demi-litre pour les femmes. L’autorité est celle qui offre, soit elle-même, soit par l’intermédiaire de l’élu de son choix. C’est un honneur que d’avoir été choisi par l’autorité pour offrir l’acool. L’élu reçoit par conséquent les deux bouteilles, réalise un rite envers la Pachamama et les esprits, à travers des prières, quelques gouttes versées au sol, et un souffle sur le goulot des bouteilles. Il présente ensuite les deux bouteilles aux convives, qui, à leur tour, l’une après l’autre, fait le geste de la “ch’alla” ( verse quelques gouttes au sol, afin d’abreuver la Pachamama), souffle sur les goulots en direction des esprits, puis boit un peu dans chacune des deux bouteilles. Le contenu est le même, mais il est important de boire dans les deux bouteilles.

            L’après-midi, le repas “casse-croûte” est un autre moment fort de partage, où chacun met en commun ce qu’il a amené dans son aguayo: “mote” (ou maïs bouilli), “quispiñu” (boulettes de farine de blé bouillies), pommes de terre, fèves. Tout est pareil pour tous, mais il est très important de tout mettre en commun. Pour ma part, et pour changer un peu, j’apportais une boîte de sardines, qui était aussi mise en commun et partagée entre tous. Je reste toujours émerveillé devant la capacité de partager équitablement entre toutes les convives, sans aucune inégalité. Quand on pense que tous sont illétrés, on comprend réellement que ce savoir ne s’apprend pas sur les bancs d’école!...

            Un nouveau “picheo” a lieu après le repas, puis en fin de journée. Les communautaires emmagasinent de grandes quantités d’alcool et en fin de journée ne tiennent plus debout...

            La distribution d’alcool et de coca est le devoir des autorités. C’est à elles qu’incombe d’approvisionner les communautaires durant tous les travaux collectifs. Par contre, elles ne participent pas aux travaux. Elles ont un rôle moral avant tout, et le dirigeant syndical est chargé de la supervision des travaux. Il serait mal vu que les autorités participent aux travaux, comme il serait mal vu qu’elles ne fournissent pas suffisamment d’alcool et de coca.

            Cela a été le cas cette année; tous les communautaires ont pu noter une grande irresponsabilité de la part de leurs autorités, mais durant toute la durée de leur “mandat”, soit une année, ce serait très mal vu d’en parler et personne n’aborde le sujet à haute voix. Les autorités, ce sont comme les récoltes: certaines années sont bonnes, d’autres moins bonnes et parfois déplorables...

            En général , les travaux collectifs,- les”faenas”-, sont appréciés des communautaires. Ce sont des moments de travail dur, mais forts en partage et en sentiment collectif. Tout le monde travaille pour le même objectif et de manière heureuse. L’accent est fortement porté sur les divinités, la Pachamama, les esprits, les ancêtres. Ceux-ci doivent donner leur accord pour le travail qui est en train de se réaliser et pour cela, les communautaires doivent être généreux envers eux.

 

 

4. LA  VIE.

            Françoise:  Au mois de mai, l’hiver arrive, qui s’intensifie en juin, puis juillet et août. Dans le “campo”, et dans les conditions déplorables des habitations, personne ne sait où trouver la chaleur, d’autant plus la nuit.

            Nous enveloppons notre petite Sara dans un tas de couvertures, mais malgré cela, elle prend froid très souvent, et tombe malade régulièrement. Nous sommes un peu inquiéts, car elle est vraiment toute petite (deux mois), et nous craignons les complications. Heureusement, avec les quelques médicaments que nous avons sous la main, et avec les retours d’urgence à Potosi, Sara chargée sur le dos, elle résiste bien au choc...

            Pour les communautaires, c’est le même problème, sauf qu’eux n’ont pas la possibilité d’aller se faire soigner à Potosi. Une épidémie d’infections respiratoires aigues se développe (angines, pneumonies, bronchites...). On fait de plus en plus appel à moi, et je vais visiter les malades sans relâche. Mon action est bien minime. Mes connaissances médicales sont bien limitées et je ne dispose pas de matériel, outre quelques médicaments. Mais je ressens très fortement ce besoin des malades d’être visités, choyés un peu plus que de coutume, rassurés. Ceci facilite grandement nos relations avec les gens et permet d’établir une confiance mutuelle. Pour moi, c’est aussi le moment priviligié de pratiquer le quechua et de m’y familiariser.

            J’apprends à connaître les gens d’une autre manière que sous leur identité de communautaires, lors de manifestations collectives. Ils sont cette fois dans le contexte familial et me parlent individuellement ou en famille. J’entends parler davantage des personnes que des membres d’un groupe plein de règles et de non-dits.

 

            Thierry:  Dès lors, notre maison est de plus en plus fréquentée et le matin, de 6h à 9h, elle ne désemplit pas. En général, ce sont les femmes qui viennent rendre visite. Parfois avec une raison qu’elles ne dévoilent qu’en fin de visite, ou parfois sans raison apparente. Je me suis souvent posé la question du pourquoi de ces visites mystérieuses: le besoin de passer le temps? la curiosité? ( Voir ce que l’on a, ce que l’on n’a pas, voir Don Thierry faire la cuisine ou changer le bébé), ou bien un certain intérêt? (se faire inviter au déjeuner), ou bien encore parler à d’autres personnes que des communautaires, écouter un langage différent, demander conseil, ou bien tout simplement faire une visite d’amitié.

            J’avoue avoir été plusieurs fois agacé par ces visites qui n’en finissent pas, sachant toutes les tâches ménagères que nous avions chaque jour. Bien souvent, Pablo étouffait parmi ce monde qui parlait un nouveau langage et le manifestait à sa manière.

            Avec du recul, je pense que la curiosité est bien normale et bonne à la fois, car si nous voulons partager la vie avec les gens, cela doit aller dans les deux sens, et il est important que les communautaires sachent de nous autant que nous souhaitons savoir d’eux. Bien sûr, cela ne va pas sans questions: cela peut donner envie de modifier leurs manière de vivre, en comparaison à la nôtre, modifier leur consommation et refuser leur production en autarcie au profit de produits de consommation (Ex: la tenue vestimentaire). Mais cela peut aussi présenter l’avantage de voir autre chose, d’ouvrir leur champ de vision à une autre culture.

 

            Françoise:   Mon emploi du temps devient chargé: je travaille à l’école avec l’instituteur dès que je peux; je suis chargée des deux cours des plus petits: Pré-basico (ou grande section maternelle), premier cours (ou CP). Mon problème de langue est important, mais les enfants s’intéressent bien à ma méthode plus participative que celle qu’ils ont toujours reçue, et progressent à toute allure: rapidement ils apprennent à découper avec des ciseaux, dessinent autre chose que des stéréotypes, savent distinguer leurs prénoms, commencent à compter autrement que de manière mécanique. Ils apprennent des mots en espagnol, adorent colorier, peindre. Filomena (8 ans) passe en un mois du bonhomme-têtard au personnage.

            Pourtant, ils restent malgré tout très fermés. Quand je les rencontre, ils ne s’approchent pas, ne saluent pas, ils restent distants. Quand ils viennent à la maison avec leur mère, ils se cachent dans les jupes de celle-ci, feignant de ne pas me connaître. Quand je vais chez eux, ils se cachent, baissent la tête, ne m’adressent pas la parole, obéissent aux ordres de leurs parents.

            Je ressens à travers cette attitude tout une culture et le passé d’une civilisation qui se transmet à travers les générations. Des siècles de domination et une forme passive de résistance qui ne peut plus s’effacer.

            Mais je ressens aussi le poids d’un système scolaire que l’on a voulu soumettant, imposant, afin de ne laisser à l’enfant aucune possibilité de s’exprimer, de décider, de se responsabiliser, de développer un esprit critique. Système qui convient bien, dans la mesure où l’on ne souhaite donner aucune chance à l’enfant paysan d’avoir sa place dans la société.

            Avec l’instituteur, Don Damien, nos relations sont bonnes: il me laisse la liberté de travailler comme je le conçois avec les enfants. Cependant, je ne note pas au fil du temps une envie de sa part d’améliorer sa pédagogie, de changer, contrairement à ce que j’avais pensé au début. Très jeune, issu lui-même du “campo”, sans aucune formation et effectuant son premier poste, j’espérais qu’il puisse être réceptif à un enseignement autre que mécanique et dictatorial. Je lui ai offert mes services de nombreuses fois. Il m’a toujours demandé de lui faire des papiers administratifs, de la copie ou des travaux répétitifs qu’il n’avait pas le temps de faire.

            Avec ses élèves, il procède de la même manière qu’un grand nombre d’enseignants du campo. Le matin, une heure ou plus est passée dehors en rang, par tous les temps, sans bouger, parfois les mains en l’air durant de longs moments. C’est ce qu’on appelle l’heure civique, où l’on chante l’hymne national en hissant le drapeau, où l’on déblate le Notre Père, les mains jointes, où l’on murmure quelques chants patriotiques incompréhensibles pour des enfants quechuistes, où l’on répète des formules qui devraient inculquer des règles de bonne conduite. C’est aussi le moment de la révision des mains et des oreilles, punie, si inconvenables, à coups de bâton sur les doigts. Le plaisir est même plus grand en faisant taper sur les doigts de ses camarades un élève lui-même. Au début, l’élève est réticent, mais sous la menace, il s’exécute et y trouve même du plaisir... Révision aussi du mouchoir, qui n’existe bien souvent jamais dans le campo. Les enfants qui n’ont jamais eu de mouchoir et qui n’en n’auront jamais, habitués, présentent leurs doigts pour s’y faire taper dessus...

            L’heure civique terminée, les enfants peuvent entrer en classe, et recevoir l’enseignement des matières académiques. Tout n’est que copie du tableau sur les cahiers. Copies de textes en espagnol incompréhensibles pour des quechuistes ou bien copies de N fois une lettre, un mot, une phrase, de manière à ce que cela pénètre bien dans ces petits cerveaux incultes.

            Les leçons sont parfois interrompues par “l’éducation” physique. Il s’agit de faire des tours de cours en pleine chaleur et l’estomac vide en marchant en canard, et cela jusqu’à épuisement... Quand les trois-quarts des enfants n’en peuvent plus et pleurent leur souffrance, ils ont le droit de rentrer et poursuivent leur travail scolaire en silence. C’est ce que l’on appelle amèrement “l’apprentissage de la vie...”

            Et pourtant, toutes ces méthodes n’apportent quand même pas les fruits escomptés: en sortant du cycle scolaire, c’est-à-dire du troisième cours (CE2), les enfants ne savent ni lire, ni écrire, ni compter, ni parler espagnol... Souffrances inutiles... Les têtes des enfants ont beau avoir été pressurisées, torturées, menacées, l’effort est vain... La méthode de travail, vieille comme le monde, n’a encore pas fait ses preuves...

            Avec Thierry, nous souffrons moralement au même titre que les enfants et nous “cogitons” une alternative à cela pour les petits paysans de la zone... C’est ce qui a donné naissance à notre projet actuel de soutien à l’éducation formelle, à travers une formation donnée aux enseignants de la zone. Projet sur quatre années au minimum, qui représente une véritable révolution dans le système scolaire de cette région du campo. Les fruits seront-ils à la hauteur de nos espérances? Peut-être pas... Mais un pas vers une réflexion, un changement d’attitude sera très certainement réalisé.

 

            Thierry:   Très rapidement, je me suis aperçu que la communauté ne portait pas beaucoup d’intérêt aux petits arbres de la pépinière qui avait été mise en place avant nous par les techniciens d’ATEC (Efrain, puis Bacilio).

            Bacilio et le promoteur de la communauté s’en occupaient tout seuls ou presque; ils avaient, certes, une pépinière parfaite. Pour ma part, je n’étais pas venu ici pour faire pareil, ni pour me fâcher en demandant à la communauté de reprendre cette pépinière en main.

            J’ai donc décidé de faire le minimum, afin que les plantes ne meurent pas, mais de ne rien faire de plus. J’essayais de faire comprendre aux communautaires que cette pépinière leur appartenait et qu’ils devraient eux-mêmes s’en responsabiliser. Mon message n’a pas toujours été bien reçu, dans la mesure où les communautaires attendaient de leurs autorités ou de moi-même d’être dirigés. Les autorités n’étaient pas en capacité de le faire et moi, je m’y refusais, souhaitant rester en accord avec notre philosophie du convivir (vivre avec).

            Je me rendais compte aussi que, malgré un intérêt pour certains communautaires de replanter des eucalyptus, des genêts ou des pins, ce projet ne convenait pas à la majorité des communautaires (minutie du travail et régularité). Les communautaires sont eux-mêmes conscients de la difficulté que représente ce travail pour être mené à bien, jusqu´à pouvoir en récolter les fruits, soit une durée de plusieurs dizaines d’années.

            D’autre part, la plupart d’entre eux n’ont pas compris l’intérêt de l’arbre dans leur environnement et les bénéfices qu’il peut apporter à leur production (apport en matière organique, freinage de l’érosion, aliment pour les animaux, bois de chauffe, utilisation pour la construction,...)

            Je trouvais par contre plus intéressant et pédagogique de me lancer dans la petite production maraîchère, et je transformais peu à peu la pépinière en jardin. Dès le mois d’août, je réalisais les premiers semis. Pas de chance; les chèvres affamées en cette saison de “vache maigre” ont trouvé une solution fantastique à leur problème: elles ont allègrement passé le mur de protection de un mètre cinquante de haut, garni de cactus, et se sont régalées de mes petites salades tendres et fraîches!...

            C’est seulement à la troisième tentative de semis que, vers le mois d’octobre, j’ai pu enfin voir les fruits de mon acharnement. En novembre et décembre, j’ai pu récolter régulièrement carottes, bettes, salades, radis, betteraves, puis en janvier-février une bonne quantité de choux, choux-fleurs, navets, salades, oignons.

            C’était toujours l’occasion de discuter de mes expériences avec les communautaires et à chaque récolte, je leur en offrais une petite partie. Je me réjouissais de ce succès, car j’avais en quelque sorte relevé le défi de pouvoir produire des légumes frais à Pisaquiri, sans nécessité de serre.

            Durant la période où nous nous sommes absentés de la communauté, en janvier-février, certains communautaires sont entrés dans le jardin et ont récolté surtout des oignons, salades, choux.  Ceci m’a réjouit et attristé en même temps:

Réjoui, car cela signifie que ces légumes leur plaisent, et qu’ils en ont profité.

Attristé, car c’est un peu du vol et démontre que, d’une certaine manière, je leur ai fait envie. Je ne cultivais pas comme tout le monde.

            D’une règle générale, je me sentais satisfait, du fait que les communautaires eux-mêmes venaient me demander de les aider à réaliser les semis pour leur maison. Durant le mois de décembre, nous avons réalisé une douzaine de semis chez eux. De cette manière, je sentais vraiment que notre projet cultures maraîchères d’ATEC prenait forme: les communautaires s’y intégraient volontairement.

            Les problèmes rencontrés pour un jardin familial étaient en particulier la protection contre la dépradation des poules, puis le manque de soins donné au potager. Je ne crois pas qu’il s’ agisse là de leur désintérêt, mais plutôt d’un manque d’habitude de vie. La preuve en est leur patio tout désordonné ou leurs champs eux-mêmes qu’ils cultivent pourtant depuis des centaines d’années... Tout est fouilli, pas désherbé, terrain mal préparé, sans soin donné aux plantes. Retirer une récolte dans ces conditions tient du miracle... A Pisaquiri, on dirait que plantes, animaux, humains, vivent et grandissent sans que l’être humain n’ait un pouvoir quelconque pour les aider.

 

            Françoise:    Les tâches ménagères nous occupent beaucoup. Avec Thierry, on se les répartit lorsque c’est possible, que nous sommes tous les deux à la maison: l’un fait la lessive, pendant que l’autre prépare le repas. Les enfants sont constamment avec nous et nous tentons au mieux de respecter leur rythme: sieste de Pablo, santé fragile de Sara.

            Pablo s´habitue bien à Pisaquiri. Il adore aller au jardin, reconnaît toutes les plantes, joue avec la terre et l’eau. Il s’amuse avec les enfants les plus durs de la communauté et se trouve affronté avec des problèmes relationnels. Aussi revient-il souvent en pleurant à la maison. La langue ne semble pas faire beaucoup obstacle à ses jeux, car les enfants entre eux communiquent d’une autre manière. Mais je suis souvent pensive: que se passe-t-il dans son moi intérieur? Comment trouve-t-il sa place? Il est souvent observé, considéré différemment, discriminé. En général, je ne rentre pas dans les considérations de ses conflits inter-camarades. Je lui propose de prêter ses jouets, de réagir autrement que par l’agressivité. Mais à trois ans, c’est difficile de dominer cela.

 

            Thierry:   Les lessives quotidiennes sont importantes avec les deux enfants, compte-tenu des couches à laver.Cela nous occupe chaque jour une heure au minimum.

            L’eau qui arrivait jusqu’à l’école n’a fonctionné que jusqu’en juillet, à cause de la sécheresse. Nous avons dû aller ensuite chercher l’eau en contre-bas de l’école, à cinq minutes de marche. Entre la lessive, la cuisine, le nettoyage, nous consommions environ 30 à 40 litres par jour. Autant d’eau économisée, autant de fatigue évitée.

            Au début, nous fabriquions des beignets pour remplacer le pain, ou bien des galettes, ou encore des crêpes.Vers le mois de septembre, je me suis acharné à trouver une solution pour fabriquer un petit four à pain, et ceci sans consommation de bois vivant, trop rare dans cette région. J’ai aussi cherché à le fabriquer uniquement avec des matériaux locaux: terre, pierres, boîte d’alcool, boîtes de conserves.

            Nous allions donc ramasser notre bois mort et enfournions notre pain pour la semaine. Chaque fournée contenait une demi-douzaine de pains, nous répétions l’opération plusieurs fois, tout en alimentant en brindilles.

            Certains communautaires, des jeunes surtout, s’y sont intéressés et nous ont demandé de l’utiliser pour eux. Jusqu’alors, ils ne l’ont pas encore réalisé chez eux, malgré ma proposition de leur donner un coup de main. Il leur faut certainement le temps de l’intégrer... Mais j’y crois; parce que le pain est un mets très apprécié et les communautaires qui disposent d’un four traditionnel n’utilisent celui-ci que lors des fêtes, car il consomme énormément de bois. Ce petit four  pourrait être une alternative.

   

            Françoise: Je continue mon activité boucles d’oreilles. Après le boum de la première fois, les femmes ne reviennent pas aussi nombreuses. Un rythme s’établit: elles viennent en moyenne à deux ou trois le samedi après-midi, ou bien plus nombreuses lorsqu’il y a une fête ou une manifestation à l’école.

            Des règles sont définies: toutes les boucles d’oreilles doivent être fabriquées par les bénéficiaires elles-mêmes; elles ont la possibilité de les emporter. La première fabriquée est gratuite. A partir de la deuxième, la bénéficiaire devra donner un oeuf ou 20 centavos.

            La motivation première est surtout d’emporter leur paire de boucle d’oreilles, pas forcément d’apprendre. Mais pour cela, elles sont obligées de s’y mettre. Je tente de les valoriser le plus possible.

            Mana atinichu”, disent-elles. (je n’y arrive pas...)

 

            Il est vrai qu’il n’est pas aisé de manipuler une pince, lorsqu’on n’a jamais connu cet instrument. Mais il est vrai aussi que tenir une pince entre les mains, couper un bout de fil de fer, tordre le fil de fer avec les pinces, c’est une question de pratique et surtout de confiance en soi. Persuadées qu’elles n’y arriveront pas, elles n’osent parfois même pas attraper la pince. Elles cachent leur honte à travers le rire. Elles rient, elles rient comme des enfants, ce qui a l’aspect positif de détendre l’atmosphère et de se décoincer...

            Et finalement, elles y arrivent. Certaines même y arrivent très bien. Les plus jeunes en général sont les plus dégourdies et les plus demandeuses, car les plus coquettes. Primitiva est de loin la plus douée et se spécialise.Elle devient totalement indépendante dans le travail, et fabrique des boucles d’oreilles en quantité pour toute sa famille. Anselma, Margarita, Cirila, Lucia, se débrouillent bien et y prennent plaisir. C’est aussi un lieu de rencontre pour les jeunes filles, lieu de confidence en dehors du milieu familial.

            Avec ses hauts et ses bas, l’activité dure. L’objectif est que peu à peu les femmes et les filles s’organisent pour s’acheter elles-mêmes le matériel, fabriquer des boucles d’oreilles et les troquer dans un premier temps, puis les vendre. Les occasions de troc ou de vente ne manquent pas, durant les fêtes ou  les ferias entre communautés voisines.

            Peu à peu, je n’achète donc plus de matériel moi-même. J’en revends, à prix coûtant bien sûr, je prête le matériel (pinces) et offre mes services.

            Mais je me rends compte que cette nouvelle stratégie ne convient pas. On sent que les femmes n’ont pas envie d’entrer dans la commercialisation. Donc, pas envie d’investir en achetant le matériel. Moi qui pensais que ce serait pour elles un moyen d’avoir un peu d’argent à elles, je me trompe. Elles n’aspirent pas à cela. Elles souhaitent avoir des boucles d’oreille pour elles, pour leur famille et pas plus. L’objectif pour elles est d’avoir quelque chose au présent, ou pour la fête du lendemain. Pouvoir se parer à ce moment-là. Après, on verra bien. L’après ne rentre pas dans leur logique...

            Pour moi, c’est un enseignement important. L’idée de marché est absent du système de la communauté, d’autant plus chez les femmes qui ne connaissent pas d’autre système. Nous retrouvons ce phénomène à différents niveaux et dans des événements différents.

            Par exemple, lors de la fête du cabildo, fête destinée à payer la tasa, (impôt): nous constatons que l’argent récolté demeure bien inférieur aux frais de la fête. L’objectif de cette fête est donc clair: il ne s’agit pas de gagner de l’argent, mais bien de faire la fête. Le bénéfice de cette fête sera peut-être plus important sur un autre registre que l’aspect commercial. En effet, la fête est toujours un lieu de réconciliation, de refonte de l’unité entre communautaires; elle est aussi une offrande aux divinités, une intention à leur égard, et permettra peut-être leur reconnaissance. Bénéfices qui ne se mesurent pas en termes économiques...

            Nous retrouvons le même phénomène lors de la mincka, système d’échange d’un travail contre de la nourriture et un travail similaire. Cela coûte souvent plus cher de faire fonctionner la mincka pour la pose du toit d’une maison, en demandant l’aide d’autres communautaires, qui seront récompensés par de la nourriture et de l’alcool en abondance, plutôt que de payer un maçon. Et la travail durera certainement plus longtemps et sera moins bien fait. Mais ce système possède une valeur bien plus grande que l’économie réalisée en contractant le maçon...

            Même chose pour la réalisation des vêtements. Il est clair qu’avec les relations actuelles qu’ont les hommes vers la ville, il revient bien meilleur marché et prend moins de temps de s’acheter du prêt-à-porter d’occasion en ville, plutôt que de se tisser ses vêtements. Mais là aussi, les valeurs que véhiculent la fabrication de ses propres vêtements (reconnaissance d’un travail à l’égard des autres, à l’égard des divinités, compétition des plus beaux tissages,etc...) dépasse le manque à gagner.

            D’ailleurs, seuls les hommes qui fréquentent la ville en ont conscience. Les autres ne se posent pas la question; c’est ainsi et il en a toujours été ainsi. Point.

 

            Cela, pour nous, c’est une révélation: la communauté n’a pas la même manière de penser que la nôtre. Elle ne pense pas à gagner de l’argent. La rentabilité n’existe pas. Elle est en dehors du système de marché. Dès lors, tout change et beaucoup de choses s’expliquent pour nous et pour la stratégie de travail d’ATEC envers la communauté.

            Par exemple, il est inutile de proposer d’améliorer sa production pour réaliser des excédents.

            Cela nous éclaire pour comprendre les difficultés de mise en place du projet “cultures maraîchères”. La première phase a été réalisée, nous le pensons, avec succès: il s’agissait de produire des légumes pour sa production personnelle et améliorer la qualité de son alimentation. La deuxième phase n’arrive pas à se mettre en marche: il s’agit de commercialiser les excédents. Evidemment,...

            Autre exemple; ATEC a toujours en tête d’aider à la réalisation d’une activité artisanale. Nous savons que la communauté possède les ressources pour cela et nous y avons rêvé (poterie à partir de l’argile du lieu, paniers, tissages, etc...). Mais nous savons maintenant qu’il est inutile d’imposer quoi que ce soit. Peut-être un jour, la nécessité se fera-t-elle sentir... Aujourd´hui, il est clair que cela n’entre pas dans la manière de penser et d’être de la communauté et nous le respectons. De nos yeux, nous avons l’impression que tout est à faire et que cette pauvreté immense n’est pas fatale. Mais c’est notre manière de penser, pas la leur...

 

            Thierry:  On ne peut rester plusieurs mois dans une communauté comme celle de Pisaquiri sans avoir à participer à des fêtes ou des coutumes. Les mois d’hiver de Juillet à Septembre sont propices à celles-ci. Je pense que cela est dû à plusieurs raisons, mais en particulier au fait qu’en hiver, dans le campo, il n’y a pas grand chose à faire. Les animaux sont en pâturage libre et les femmes ont davantage de temps.

            En règle générale, les fêtes ou les coutumes (Cabildo, Todos Santos, Carnaval, fête de la Mamita Carmen,...) permettent de tout oublier. On ne sait pas faire une fête, ou n’importe quelle rencontre de la communauté, en moins de deux jours. Une fois que les communautaires ont commencé, ils ne savent plus s’arrêter. Le phénomène est le même en ville, à Potosi.

            Peut-être que quand on a commencé à oublier sa dure réalité, on a du mal à vouloir revenir à elle...La fête est aussi un lieu où chaque communautaire peut se délivrer de tout ce qu’il peut avoir contre un autre, de ne pas garder en lui des choses que l’on ne peut pas dire en temps réel. Des bagarres ou des règlements de compte ont souvent lieu durant ces moments. Cela défoule et évite sûrement qu’un jour la cocotte minute explose....

             Le problème est qu’aujourd’hui le nombre de fêtes augmente, ainsi que la quantité d’alcool consommé. Il s’agit d’alcool de canne, très mal raffiné et qui contient beaucoup de méthanol. On peut imaginer les dégâts causés au cerveau, d’autant plus sur des corps en état de malnutrition depuis toujours.

            Le problème de l’alcool s’est aggravé, dans la mesure où autrefois on ne consommait que de la chicha, boisson légèrement alcoolisée à base de farine de maïs ou d’orge. La chicha est un aliment nutritif et peu alcoolisé (3 ou 4º), contrairement à l’alcool de canne, et par conséquent plus assimilable. Sa fabrication se réalise à partir d’eau bouillie, contrairement à l’alcool imbuvable à l’état brut ( 96º) et donc mélangé à de l’eau courante.

            Certains communautaires ont atteint un tel taux d’alcoolémie, que la simple chicha ne leur suffit plus pour arriver à l’ivresse. D’autre part, contrairement à la chicha, l’alcool ne nourrit pas. Les communautaires passent toute la durée de la fête en buvant, mais en mangeant très peu... Rien de mieux pour affaiblir un peu plus leur organisme.

           

            Françoise:  Tout cela nous porte à réfléchir; nous nous rendons compte que la situation à Pisaquiri a changé depuis ces dernières années. Elle s’est déteriorée à plusieurs points de vue. L’alcool est certainement une compensation à cela. Mais la raison profonde de ce changement peut  être attribuée à différents facteurs, en particulier au phénomène de la migration, qui influe sur les mentalités. Ceux qui vont travailler à l’extérieur reviennent à la communauté avec des idées différentes, idées plus “capitalistes”. Les jeunes hommes réfléchissent à ce qu’ils peuvent faire pour gagner de l’argent. Estevan s’essaie aux boucles d’oreille et souhaite en vendre. Pedro veut fabriquer des “confites”, (sucreries) et les vendre. A partir de là, se créé la faille: d’un côté, les innovateurs, de l’autre les traditionnalistes. Et la faille va s’élargir encore plus et devenir dangereuse, voire irréversible, si aucun travail éducatif ne se réalise autour... Comment rejoindre les deux tendances? C’est la question que nous nous posons à ATEC et qui nous a permis d’élaborer le projet Khontuchakuna Causanapaj  ( réunissons-nous et organisons-nous pour vivre). Projet basé à partir d’une réflexion des communautaires sur leur situation, la valoration de leur mode de vie et de leur culture, la nécessité de s’organiser pour affronter ce monde qui pénètre sauvagement et anarchiquement.

            Il n’est pas question de nier le phénomène en voulant préserver absolument la culture quechua et refuser le changement qui s’opère. Ce serait étouffer cette société qui serait vouée à la mort.

            Le projet Khontuchakuna Causanapaj  propose plutôt une prise de conscience des communautaires à travers une ouverture ( la découverte de l’ailleurs, de l’autre,...), mais aussi à travers la valoration de ce que l’on a et que l’on est. Tout cela, de manière tout à fait concrète, en incitant les communautaires à s’organiser entre eux, en valorisant toutes leurs initiatives, en étant à leur côté pour participer à ce qu’ils font, partager avec eux. L’objectif étant qu’ils réussissent à décider d’eux mêmes, et non pas qu’ils se laissent emmener à la dérive par les facteurs extérieurs. Objectif bien ambitieux et à long terme...

 

            Thierry:  Plus en détail, voici comment j’ai participé aux fêtes du cabildo qui se sont succédées du mois d’août au mois d’octobre: charriage du bois, préparation de la pâte pour la chicha, puisage de l’eau pour remplir un volume de 2 000 litres dans les tonneaux,...

            Dans un premier temps, j’ai été désigné avec cinq autres compagnons pour aller chercher du bois d’un grand molle (arbre local) qui avait été élagué précédemment. Cet arbre se trouvait à une bonne demi-heure de marche à pied en contre-bas de la communauté, vers le rancho de Pillariri. (L’absence de bois sur la communauté de Pisaquiri aggrave les difficultés et la fatigue). On m’a donc enseigné à charger du bois sur mon dos, amarré avec une corde. J’avais facilement 25 kilos sur le dos et je faisais partie de ceux qui chargeaient le   moins... Il fallait remonter cette charge jusqu’au lieu du cabildo, soit à une heure de marche, tout en montant,...

            Mais les efforts sont toujours récompensés: à notre arrivée, on nous offre coca, mote (maïs bouilli) et une soupe, avant de repartir pour une autre tournée. Nous réaliserons deux voyages supplémentaires avant la nuit. Pendant ce temps, d’autres communautaires ont creusé des grands trous pour enfouir le bois de chauffe sous les tonneaux.

            Le lendemain, nous avions pour devoir de remplir les tonneaux d’eau en transversant l’eau des bidons recueillie à la rivière. Puis, on me demande de préparer la pâte pour la chicha. On me met devant une grosse potiche de terre remplie de pâte sèche que je dois remuer dans l’eau bouillante avec un gros bâton. Je ne sais pas faire, mais en observant les autres, je m’y apprends... M’a-t-on mis moins de farine que les autres, ou bien est-ce la chance du débutant,... toujours est-il que je finis avant les autres!...

            Durant toute la nuit, les femmes font cuire la chicha et le lendemain tous les participants au travail viennent chercher la part d’arope qui les correspond. (Il s’agit de la pâte épaisse et douce, ressemblant à de la compote et qui, mélangée à un autre liquide, fera la chicha). Toute la journée, les femmes feront la chicha en mélangeant l’arope avec ce liquide. C’est un va et vient continuel des femmes avec leurs seaux d’eau qu’elles transvasent d’un récipient à l’autre. Je n’ai pas vraiment saisi la logique de leur travail, mais tout se réalise sereinement et dans la tradition. Deux jours plus tard, la chicha a fermenté dans de grosses jarres et le cabildo commence.

           

            Françoise:   Le travail des soins administrés aux gens est pour moi une expérience très enrichissante. En même temps, c’est un pont, un intermédiaire qui me permet d’être plus proche des gens. En allant dans les familles, je pénètre quelque chose de leur monde et j’ai ainsi une bonne raison de le faire.

            Compte-tenu des distances et du rythme de vie, je ne peux pas visiter plus de deux familles par demi-journée. Pablo m’accompagne partout et il est très sensible à la relation que nous établissons avec les malades; il aime y participer à sa mesure lorsque c’est possible.

            A chaque visite, je suis d’abord reçue par les membres de la famille qui s’empressent de m’offrir de la coca, soupe, mote, ou ce qu’il y a. C’est un moment de discussion ou parfois de silence qui s’installe, moment important qu’il faut respecter.. Il serait inconcevable de se mettre à soigner le malade immédiatement, quelle que soit l’urgence de la maladie... Pour moi, cela fait partie du diagnostic et m’aide à comprendre à quel point la famille, l’entourage porte aussi la maladie. A travers la discussion de ce moment, je réalise combien est présente et vraie l’idée de: maladie = fracture de l’équilibre. L’entourage se demande: “ Que se passe-t-il? Pourquoi y a-t-il tant de malades en ce moment?” Et chacun a sa réponse: “L’autre jour, une sorcière est passée dans la communauté. On ne l’a jamais vue. D’où vient-elle? On n’en sait rien. Mais c’est elle qui a apporté la maladie. Elle nous a jeté un mauvais sort.” D’autres disent: “C’est parce qu’on n’a peut-être pas bien accompli nos devoirs de communautaires.” Ou bien, on parle du malade en disant: “Se ha descuidado”. Il n’a pas fait attention à lui.

            En bref, la maladie est toujours le résultat de quelque chose lié au comportement. On conçoit difficilement un rapport scientifique de cause à effet provoqué par des microbes,... Bien d’autres raisons restent dans le domaine du non-dit et on ne me révèle rien: le pouvoir des divinités, la magie, le châtiment,...

 

            Thierry:   Le jour du cabildo, je suis accueilli avec grand plaisir. Je sens que ma participation aux travaux de préparation les a touchés. Il s’agit maintenant de me mettre à l’épreuve pour la consommation...

            On m’offre donc en arrivant deux grosses calebasses pleines de chicha, contenant chacune au moins un demi-litre de la boisson. Je dois accomplir le rite comme il convient: les calebasses sont placées sur une table rituelle au milieu du patio, table recouverte d’un aguayo, sur lequel se trouvent aussi une jarre spéciale en forme de taureau, ainsi que deux petits aguayos renfermant des feuilles de coca.

            Je ch’alle, c’est-à-dire que je verse un peu de liquide aux quatre coins de la table, puis enfile mes deux calebasses de chicha. La tradition est de boire chacune d’elles d’un seul coup. Puis on vient m’offrir de la coca issue de la table rituelle.

            La soirée s’écoule ainsi, pichando, (mastiquant) la coca, buvant et discutant avec les communautaires. Plus tard dans la nuit est offert un plat de nourriture, nourriture qui respecte aussi des rites importants. Les abats des chevreaux tués dans la matinée sont offerts à la Pachamama et aux esprits. Une autorité prend le plat rempli d’abats et formule des prières, puis en jette quelques morceaux un peu partout avec des gestes rituels. La communauté est ensuite servie: les abats restants, du mote, (que nous mettons dans notre chapeau pour emmener), une assiette de soupe constituée du bouillon de viande, de pommes de terre et de blé.

            Les communautaires passeront la nuit, continuant de boire et de discuter...

            Le lendemain est le jour du paiement de l’impôt, la tasa, et la participation aux frais de la fête. Cet impôt a été supprimé, mais les communautaires de Pisaquiri continuent de le collecter pour le bénéfice de la communauté: frais de réparations de l’école ou autres petites dépenses collectives. En général, l’argent récolté ne dépasse pas 30 Boliviens, (30 FF), de même que l’argent récolté pour la participation aux frais de la fête. Sachant que la réalisartion d’une coutume comme celle-ci a coûté aux autorités amphitrionnes un équivalent de plus de 2000 Boliviens (2000 FF), l’argent recueilli reste dérisoire. C’est un compte que nous, européens, ainsi que mes amis boliviens de Potosi, avons vraiment du mal à comprendre...

 

 

            Françoise:   Quand Vicente, la fille de Doña Andrea, accouche d’un enfant mort-né, la grande préoccupation de la famille est de pouvoir faire les rites au cimetière. Et le mari d’Andrea, Don Caytano, n’est pas là pour donner de l’argent et le faire. Vraisemblablement Vicente guérira et la famille ne restera pas dans le malheur, si on réalise les coutumes, si on tient parole avec les devoirs qu’on a; à ce moment-là seulement, l’équilibre se rétablira.

            Quand Doña Adriana a eu son bébé, on m’a fait appeler, non pas pour  des soins en particulier, mais pour donner le prébaptême au bébé. Quand le bébé aura un nom, qu’il aura reçu son prébaptême, il aura des chances de vivre; et même s’il meurt, il sera enterré dans le cimetière, et non pas à l’extérieur, ce qui pourrait rompre l’équilibre de la famille et de la communauté. Un bébé enterré dans la communauté hors du cimetière est maudit, parce qu’il apporte le malheur, une grêle, une sécheresse, un déluge,...

            Donc, je me charge d’accueillir le bébé, lui donner la bienvenue dans sa famille, avec ses deux soeurs et son frère aîné. Nous disons une prière et je lui verse de l’eau bénite et du sel sur le front. Nous soufflons sur les braises du brasero, pour que la fumée se propage dans la maison.

            Pour moi, c’est un moment émouvant. Dans cette chaumière de Pillariri, entre ses frère et soeurs, un enfant est né, entortillé d’une faja qui le maintient à l’état d’une minuscule momie, d’où dépasse un chullo de tissage, deux petits yeux qui ont peine à s’ouvrir et une petite bouche qui esquisse  un mouvement en quête du sein maternel.

            Doña Adriana est très fatiguée; elle souffre de maux de dos; ses jambes ne la portent pas, mais le vieux papa est là (père d’Adriana); c’est lui qui prend la relève et fait griller les tostados de blé, de maïs, de petits pois. C’est la nourriture quotidienne, car à Pillariri, il n’y a pas eu de pommes de terre cette année.

            Bien que hommes et femmes réalisent des travaux très distincts, bien que dans la vie extérieure, les hommes se retrouvent entre eux et les femmes entre elles, je note dans ce foyer et dans bien d’autres que j’ai visités, une harmonie familiale. Don Fidel, le mari d’Adriana est très heureux de cette naissance et accorde beaucoup de soins à sa femme. Le dialogue existe et la chaleur humaine aussi. On ressent une atmosphère complètement différente de celle à l’extérieur, en ce qui concerne les relations hommes-femmes. A l’extérieur, les femmes ne s’expriment jamais durant les réunions; elles s’occupent de leur bébé et feignent de ne pas écouter. A la maison, au contraire, elles donnent leur avis, discutent avec leur mari.

            En général, les soins et les quelques médicaments que j’administre sont bienvenus, souhaités et reçus comme une sorte de potion magique. La plupart du temps, ces gens si pudiques, si timides et silencieux lorsqu’il s’agit de parler de leur corps ou d’en découvrir une partie, changent d’attitude lorsque je suis chez eux. Hommes et femmes aiment beaucoup les massages. Ils apprécient le contact, le toucher, l’attention qu’on a pour eux. C’est si rare dans leur vie! Je pense d’ailleurs qu’ils apprécient ces moments, justement pour accueillir cette relation privilégiée à leur égard.

            Il est vrai qu’à d’autres moments plus rares, j’ai eu l’impression que ma présence importunait. Pour quelle raison? Parfois parce que la femme ne souhaite pas recevoir des soins en présence de son mari, ou par manque de confiance, ou pour toute autre raison que je ne saisis pas. Dans ces cas-là, je me retire.

            J’aurais souhaité aller plus loin dans ces relations au niveau de la santé, faire comprendre un peu plus comment est constitué son corps, à quoi sert un médicament, comment prévenir certaines maladies, donner davantage de conseils d’hygiène, etc... mais je me retrouve face à des limites importantes. La première est celle de la langue. Je ne maîtrise pas suffisamment le quechua et n’arrive pas à faire passer mon message. C’est sûrement ce qui me torture le plus et ne me rends pas satisafaite. Quelles relations de confiance pourrions-nous tisser entre femmes si je pouvais maîtriser la langue!...

            L’autre limite, c’est celle de la confrontation de nos cultures. Je perçois que ce type de conversation n’entre pas dans la culture quechua. Parler de son corps est un sujet tabou. Il est inconcevable de demander à une femme si elle est enceinte. Elle ne l’avouera pas jusqu’à la naissance du bébé. Elles disent avoir mal au ventre, mais ne parviennent pas à distinguer la douleur au niveau de l’estomac, des intestins, du foie, ... Elles réclament un médicament qui apaisera la douleur, c’est tout; mais ne poursuivent pas le traitement comme je le leur prescris. Là aussi, on retrouve la force de la culture qui, sur le plan de la santé, se préoccupe des raisons pour laquelle le patient éprouve une douleur, un malaise ou est malade, mais n’agit pas sur la partie affectée du corps.

            A l’analyse de cette expérience, je me rends compte que nos deux cultures détiennent quelque chose de vrai et qu’elles devraient se compléter. Rechercher les causes de la maladie, retrouver l’équilibre rompu, et en même temps agir sur les parties affectées. Je me mets à rêver d’un projet qui irait dans ce sens...

            D’autre part, je me rends compte à quel niveau l’échelle de nos valeurs est différente. Dans notre culture occidentale, la vie humaine prévaut tout, et nous ferions n’importe quoi pour la sauver. Dans la culture andine, la vie humaine n’a pas plus de valeur que les animaux, les plantes, les éléments naturels,... L’important est que tout soit en harmonie et se conserve sans dominer l’autre, c’est-à-dire se reproduise d’une manière équilibrée. Si la vie humaine est trop protégée, elle se reproduira trop par rapport aux autres éléments de la nature. L’équilibre sera rompu; l’alimentation manquera, les terrains manqueront, et peu à peu la société mourra.

            Le cas de la petite Virginia, hyper dénutrie, maladive, m’en a fait prendre conscience. Sa mère a décidé de venir me voir par pression de son entourage. Elle n’est pas entrée chez nous. Nous avons parlé dehors. J’ai préparé une boisson hypercalorifique et vitaminée que j’ai donné très lentement à la petite Virginia. Dès ce jour-là, je vois que la mère sourit, mais n’accorde pas d’attention particulière à son enfant. Son sourire cache l’indifférence. Je lui donne un peu de préparation pour qu’elle l’administre elle-même à sa petite fille, peu à peu, dans la journée. Je lui demande de revenir, mais elle ne revient pas. Sur le chemin, je la rencontre et lui demande des nouvelles de son enfant. Elle me dit que celui-ci ne veut pas prendre à la petite cuillère. J’insiste. Puis, peu à peu, je réagis: cette femme n’a pas envie de mettre tous ses efforts pour sauver son enfant. Et moi, de quel droit dois-je lui demander de le faire? De quel droit dois-je imposer ma décision par rapport à la sienne?... Je ne suis pas venue pour imposer, mais pour donner un coup de main là où on me le demande. Alors je n’insiste plus. C’est la mère qui décide et elle a ses raisons de décider.

            Bien sûr, cela nous fait mal, à nous d’une autre culture, lorsqu’on nous dit qu’on n’a pas d’argent pour soigner son enfant, et que lorsqu’il est mort, on dépense dix fois plus que ce qu’il aurait fallu pour le soigner, cela pour l’enterrement et les rites aux divinités. Gardons-nous bien de porter un jugement à partir de notre propre culture. Durant ce séjour à Pisaquiri, je veux apprendre à être disponible à ce qu’on me demande, sans juger. Mais j’éprouve beaucoup de difficultés à le réaliser et le chemin est encore long pour moi avant d’y parvenir. J’ai du mal à faire abstraction de ce que je croyais être des convictions et je reçois des leçons d’humilité. Cela est vrai non seulement dans le domaine de la santé, mais dans tous les domaines, bien sûr. On a toujours envie de mettre son grain de sel et de dire les choses comme on les pense. Mais il faut être très prudent, car le poids des mots d’une étrangère à la communauté est souvent surévalué. ( Respect de l’étranger? Timidité à son égard? Soumission? Surestimation de l’autre au détriment de soi -même?...) Et pourtant, dans la logique andine, moi, en tant qu’être humain, ne suis qu’un maillon de la chaîne de la vie, au même titre que tout être vivant. Ma parole ne devrait donc pas avoir plus de valeur que toute autre...

 

            Toujours dans le domaine de la santé, j’ai été aussi marquée par le malheureux accident de Don Florencio. Pour vouloir protéger ses champs de la grêle menaçante, les paysans font éclater des dynamites. Ce jour-là, Florencio a préparé une dynamite. Voyant que l’orifice de la mèche était obstrué, il y a enfoncé un petit bâton. Cela a déclenché l’explosion, lui emportant le pouce, lui broyant l’index et lui blessant le majeur.

             L’accident a eu lieu l’après-midi, à Sallalli; je n’ai commencé à le soigner qu’à 9 heures du soir: l’accident était grave, mais ne devait pas empêcher le monde de tourner. Pedro Condori, qui était venu nous appeler, devait terminer son travail, prendre son repas; à mon arrivée à leur maison, je devais aussi être reçue, manger, avant de commencer les soins.

            Durant dix jours, j’y suis allée quotidiennement, tentant de faire cicatriser les lambeaux de chair mutilée. C’était un supplice pour le pauvre Florencio qui endurait son mal avec un courage exemplaire. Mais pour la famille, il était hors de question de l’emmener à l’hôpital de Potosi.

            Chaque jour, j’effectuais 1h et demie de marche à pied aller-retour. Là-bas, je prenais le temps avant les soins de recevoir la nourriture, de mastiquer la coca,... Souvent, je recevais les meilleurs morceaux de nourriture, et on m’offrait un oeuf ou deux. Je me sentais gênée devant cette générosité; Florencio aurait eu plus besoin que moi de manger des oeufs... Mais en même temps, j’étais dans l’incapacité de refuser, sachant ce que cela représentait pour eux (leur manière de redonner le service rendu, la relation avec les divinités en vue de la guérison, la reconnaissance,...).

            C’était le temps durant lequel les calmants administrés devraient faire effet. Je commençais ensuite les soins, utilisant une décoction de fleurs de zapatillas, plante qui a un pouvoir désinfectant. Je me battais pour avoir les conditions d’hygiène les moins pires possibles, mais je devais combattre les mouches qui venaient s’agglutiner sur la plaie; je devais chasser le chat, expliquer à l’entourage de ne pas mettre les doigts ni sur la plaie, ni sur les pansements. Malgré cela, les soins réalisés à même le sol, sur les ponchos, les couvertures et les peaux de bêtes grouillants de puces et de poussière, ne permettaient pas de réaliser un travail très hygiénique...

            Au bout de dix jours, la plaie n’évoluait pas, ni dans un sens, ni dans l’autre,... Je suppliais la famille d’envoyer Florencio à l’hôpital de Potosi. J’avais été moi-même à Potosi auparavant pour organiser son accueil et trouver des aides financières. Efrain m’a aidé à les convaincre. Il maîtrise le quechua et connaît bien mieux que moi la manière de parler.

            Le jour du départ, bien que dépourvu de mots, est émouvant. Dans la famille, on passe plus de temps que de coutume à mastiquer la coca, en silence; on allume le brasero et on souffle sur les braises pour laisser s’échapper la fumée. On mange un peu et Florencio décide d’aller se changer; il troque un poncho contre un autre un peu moins usé. Agustin, son fils, se prépare pour l’accompagner. Nous partons à pied sans regarder derrière. Les femmes feignent l’indifférence, mais Doña Martina essuie furtivement une larme. Tous, y compris Florencio, sont convaincus qu’il s’agit d’un voyage sans retour...

            Il faut marcher jusqu’à Aturkipa pour rejoindre la voiture; cela représente 3 heures de marche à pied. Je suis admirative de voir le courage de Florencio pour marcher sans broncher, encore capable de m’aider, moi valide, qui  porte Pablo. A mi-chemin, il s’arrête à un terrain qui lui appartient pour décrocher quelques figues de Barbarie et m’en faire profiter. Sa blessure cachée sous son poncho, il avance d’un pas régulier, droit comme un i, à l’affût de tout indice de la nature. Malgré sa blessure, il apparaît en total équilibre avec la nature. Il y est immergé et épouse toute aspérité du sol, descente et remontée, rocaille, buisson, aussi bien que l’aspect climatique: chaleur étouffante de la journée, froideur du soir. A côté de lui, j’ai vraiment l’impression d’être une pièce rapportée dans ce milieu...

            A Potosi, il est accueilli dans une auberge paysanne et le lendemain la Soeur Cristina organise son hospitalisation. Nous allons le visiter un peu plus tard; il nous apparaît alors comme un autre personnage. Cette personne si digne dans son environnement n’est plus rien ni personne dans ce grand hôpital qui lui est complètement étranger, inhumain. Ses forces semblent l’avoir quitté, il n’a pas envie de lutter pour une guérison. C’est un homme traqué, perdu. Nous le rassurons. Là encore Efrain sait dire les mots pour le réconforter.

            Mais il faudra attendre trois jours avant que l’hôpital lui administre un soin. Cristina s’occupe des démarches administratives et financières. Elle rencontre l’infirmière, l’anesthésiste, le chirurgien. Chacun fait son ordonnance qui se contrarie de l’une à l’autre. Quand on parvient enfin à un accord, on achète les médicaments, les perfusions et nous voyons partir notre pauvre Florencio, la mort dans l’âme, en salle d’opération...

            L’opération se passe plutôt bien et Florencio récupère, malgré sa tristesse et son ennui. Il n’espère qu’un retour à Sallalli, ce qu’il réalise au bout de 10 jours.

            Je n’ai jamais su exactement le fond de sa pensée quant à cette opération. Il m’est toujours apparu très mélancolique vis à vis de la phalange amputée, comme si on lui avait lâchement enlevé quelque chose qui lui appartenait.

 

            En général, toutes les activités que je réalise sont des activités de femmes entre femmes, comme Thierry d’hommes entre hommes. Même s’il s’agit d’une faena, (travail collectif communautaire), où participe toute la communauté, hommes et femmes, chacun des sexes a son travail spécifique. Les femmes sont chargées de la cuisine. Ce sont les épouses des autorités qui fournissent la plus grosse partie des ingrédients (moutons, chèvres) et les autres femmes amènent leur participation en pommes de terre, oca, fèves. L’épluchage des pommes de terre est une activité très longue, compte-tenu de la taille minuscule des pommes de terre et du problème du manque de couteaux. A défaut, on épluche avec ce que l’on a: couvercle de boîte de sardines, lame de fer.

            C’est là que j’apporte en général ma contribution; les femmes sont toutes là, autour du tas de pommes terre étalé au sol, avec leurs bébés qui trottent à quatre pattes tout autour. C’est une occasion pour écouter et parler. De plus, cela ne demande pas trop de connaissances culinaires et me convient bien! Ensuite, on jette la viande découpée avec ses légumes dans les grands chaudrons d’eau bouillante et on remue. Toutes les femmes viennent s’asseoir autour du chaudron pour se réchauffer et continuent les discussions et les rires.

           

            Durant les fêtes, les jeunes filles se retrouvent ensemble, à part des personnes plus âgées, et dansent au rythme du charango, joué par les garçons. Jeunes et moins jeunes font la fête séparément. Pour ma part, ma place est avec les moins jeunes, bien que j’entretienne des relations de confiance avec les jeunes filles. Celles-ci viennent souvent à la maison pour me raconter leurs petites histoires et me faire leurs confidences. L’activité boucles d’oreilles a certainement facilité ce contact. Elles m’ont confié par exemple leur désir de s’échapper de leur communauté, pour aller connaître la ville de Santa Cruz.

            C’était pour moi l’occasion de les encourager, mais de les mettre en garde. L’initiative est peut-être bonne; on comprend ce désir de connaître autre chose, se sortir enfin pour la première fois de leur vie de la routine qu’est faite leur vie dans la communauté... Mais la fugue n’est-elle pas risquée et irresponsable? De quoi vont-elles vivre à Santa Cruz, sans compter que dans cette ville, personne ne pourra les comprendre lorsqu’elles parleront quechua...

            Je leur propose de les aider en leur enseignant l’espagnol, en leur apprenant à lire, à écrire et à compter. Elles me demandent aussi de leur apprendre à tricoter et nous commençons avec quelques-unes ces travaux ingrats et à long terme. C’est très difficile pour elles de se mettre à apprendre, de former des lettres, d’écrire, de se rappeler, d’assembler des syllabes pour former un mot. Elles se découragent vite, ne sont pas régulières, malgré mes exhortations.

            Puis un jour, elles partent à l’aventure. En secret. Direction Santa Cruz. Avec très peu d’argent en poche, volé à leur père. Nous sommes les seuls dans la confidence dans la communauté et ne disons rien lorsque les parents viennent nous interroger, bien que nous fussions très inquiéts quant à leur sort.

            L’escapade dure deux semaines, jusqu’à ce que Pedro Condori les repêche à Oruro et les ramène à leur communauté. Les parents sont très fâchés, d’autant plus que les fugueuses leur ont occasionné des frais: vol de l’argent, remboursement du transport à Pedro Condori. Don Roberto, le père d’Anselma avoue avoir préféré que sa fille ne revienne plus du tout...

 

            Ces anecdotes jalonnent le rythme routinier de la vie de la communauté. Ce sont des événements qui font parler un peu d’autre chose. Mais la plupart du temps, la vie s’écoule au rythme du calendrier agricole: la récolte succède aux semailles, la sécheresse succède aux pluies dévastatrices de grêle, la mort succède à la vie.

            On ressent profondément le cycle de la vie, comme quelque chose de circulaire et non pas linéaire, comme nous le ressentirions dans notre propre culture: naissance, croissance, vie adulte, mort. Point. Dans la culture andine, la vie est un éternel recommencement. Et il n’y a pas véritablement de mort. La mort est un passage à une autre forme de vie et la force des âmes est si présente qu’elle fait partie de la vie. Au quotidien, la vie s’effectue au fil des saisons qui ne cessent de recommencer, et non pas au fil des années qui s’accumuleraient et nous entraîneraient à la mort.

            A cela s’ajoute, ou plutôt se complète, une fatalité qui fait que rien ne change, parce que c’est ainsi... Ce n’est pas à l’homme de changer le cours des choses. S’il s’y hasardait, il recevrait certainement le châtiment des divinités, non seulement lui, mais toute la communauté et tous les éléments naturels, sous forme de calamité, de maladie, de catastrophe naturelle,...

            C’est bien une raison pour laquelle nous nous heurtons à leur incapacité de prendre des initiatives, de décider de quelque chose, de proposer. Là aussi nous sommes sur un autre registre et réagissons par rapport à notre culture.

 

            Reste que la question de la confrontation des deux cultures est déjà présente et inévitable. L’écart entre les hommes qui vont travailler à la ville et leurs femmes qui ne sont jamais sorties de leur communauté se creuse de plus en plus. L’écart entre les jeunes qui reviennent de la récolte du coton à Santa Cruz et leurs parents qui sont restés à la communauté se creuse aussi. La communication n’est plus possible. Même chose entre les garçons et les jeunes filles... Quel est l’avenir de la communauté si un pont ne  parvient à être jeté entre ces deux tendances?

            Le projet Khontuchakuna Causanapaj souhaite jeter ce pont, par la force des communautaires eux-mêmes, qui, grâce à un travail d’éducation, en prendront conscience et trouveront eux-mêmes leurs solutions. C’est un grand défi, qu’il faut mettre face à l’avancée du système occidental de consommation, système qui pénètre et ronge comme la gangrène les lieux les plus reculés du monde.

 

 

5. A QUOI BON UNE EXPERIENCE DE CE TYPE ?

            Thierry: Question pas facile à répondre. A rien, diraient certains. Peut-être, mais la réponse est trop simpliste. Tout ce que l’on vit sert obligatoirement à quelque chose. Mais si l’expérience ne sert qu’à sa personne, son utilité est assez limitée. Il faut donc réussir à cueillir les fruits d’une telle expérience et surtout pouvoir en faire profiter aux autres.

            Le partage de vie est un moyen de reconnaître la culture et le mode de vie des personnes avec lesquelles nous partageons la vie. Nous aurions pu arriver et indirectement imposer notre “savoir”, sans jamais écouter et apprendre du savoir des autres. Nous aurions simplement fait la même chose que les Colons ou les enseignants ou encore les institutions “ d’aide au développement” qui entrent dans les communautés, croyant détenir la vérité. Le problème est que les communautaires n’ont pas la capacité et la force de contrecarrer ces pressions et se plient facilement à ce qu’on leur propose. Ils s’y plient en apparence seulement, car ils continuent indifféremment leur vie quotidienne.

            Malheureusement, chaque jour les communautaires se divisent un peu plus entre eux, et leur statut social unitaire s’effrite... Leurs pôles d’intérêt sont de plus en plus distincts et les conflits surgissent.

            Personne jusqu’à maintenant ne les a aidés à leur faire prendre conscience que leur vie, même très rude, vaut la peine d’être vécue, a sa valeur. Tout le monde les renie et les rejette eux et leurs coutumes, à tel point qu’ils finissent par s’en convaincre.

            A l’heure où le Dieu unique est celui de l’argent, venir partager une année parmi les plus pauvres en argent, mais riches en qualité humaine, permet d’une certaine manière de valoriser leur vie. Il ne suffit pas de dire que c’est beau ou que c’est dur, ou faire un festival de la culture pour valoriser ces peuples... Il faut arriver à leur faire prendre confiance en eux, leur permettre de valoriser leurs réussites et essayer de leur faire ouvrir les yeux de manière critique et réelle sur les autres systèmes d’organisation qui existent dans le monde. En particulier, il est important qu’ils prennent conscience de ce système qui est en train de dévorer froidement tous les autres, sans le moindre respect. Cette société capitaliste et néolibéraliste qui est la nôtre est en train de détruire tranquillement ce que ces peuples ont de plus cher au monde. Ceci sans que les propres victimes ne réclament rien et ne se rendent compte de rien.

            Evidemment, toutes ces réflexions sont politiques et philosophiques et il n’est pas question de parler de cette manière avec eux. Ce que nous avons voulu, c’est qu’une confiance mutuelle se crée entre nous. A travers l’artisanat, nous avons voulu qu’ils se valorisent, en prouvant qu’eux aussi savent faire quelque chose. Si je travaille avec eux, c’est aussi pour qu’ils comprennent qu’ils sont meilleurs que moi dans ce domaine, mais que je fais des efforts pour arriver à leur niveau. Je démontre aussi que je respecte leurs autorités et le travail qu’ils ont décidé pour moi. Etre au service de la communauté comme un élément de plus, et respecter leurs autorités, permet de valoriser leur mode d’organisation. Participer aux fêtes permet de respecter et valoriser leurs coutumes. Si un étranger à la communauté s’intéresse à ce qu’elle fait ou vit, a confiance en elle, cela démontre que ce qu’elle fait n’est pas si mal. Passer une journée entière pour faire une réunion et décider quel jour on fera telle activité, c’est valoriser leur manière de s’organiser.

            Boire avec eux en faisant la fête ensemble aide à la confiance. En général, beaucoup de gens refusent de boire avec les communautaires, parce qu’ils ont peur de ne pas pouvoir se contrôler et contrôler ses paroles, peur que surgisse une bagarre et qu’on les responsabilise de mauvais actes. Sur ce point, je n’ai jamais eu peur, car je n’ai rien à me reprocher envers eux, et ceci les communautaires le savent. En bref, dans leurs mentalités, si je bois avec eux, c’est que je n’ai rien à me reprocher.

 

            Bien sûr, pour vivre tout ceci, avoir le temps de l’approfondir et d’analyser les fruits de ce travail, une année est bien courte.

            ATEC a pris conscience de l’importance de tout ceci et a changé sa manière de travailler depuis Janvier 96. Pour moi, c’est un grand pas en avant. A partir de là et d’un cheminement de cinq années, ATEC a élaboré le projet Khontuchakuna Causanapaj , qui représente pour moi la continuité de notre travail sur Pisaquiri et va pouvoir s’étendre à d’autres communautés environnantes.

            Sans le travail d’ATEC sur la zone, sans notre présence à Pisaquiri, ce projet ne serait jamais né. Et sans ce projet, toutes les réalisations d’ATEC jusqu’alors dans la zone tomberaient aux oubliettes dans quelques années, sans que personne n’en ai jamais ramassé les fruits.

            Par ce projet, nous voulons utiliser les petites réalisations, non comme une fin, mais comme un moyen pour parvenir à un changement profond. Ce changement ne peut se produire que si les bénéficiaires le désirent et surtout s’ils en sont concients. Comme dit Pierre Marmilloud “Ce sont les gens qui ont les problèmes qui en détiennent les solutions”. Mais faut-il encore qu’ils le découvrent....

            En somme, après avoir vécu cinq années en Bolivie dont une à Pisaquiri, nous ne pouvons faire un bilan concret de ce que nous avons réalisé. Le seul bilan que nous pouvons faire est celui de la réalisation d'un cheminement personnel que nous a permis la vie ici. ATEC a été pour nous le siège de cet enrichissement, que nous avons réalisé mutuellement avec chacun des membres du groupe.

 

 

6. CONCLUSION THIERRY ET FRANÇOISE:

 

            A l’issue de cette année, nous sommes revenus à Potosi, dans l’objectif de prendre du recul ensemble avec ATEC, d’écrire, puis de mettre en marche le projet Khontuchakuna Causanapaj, ainsi que celui du soutien à l’éducation rurale.

            Nous souhaitons qu’à travers ces deux projets s’engage une continuité du travail de convivencia (partage de vie) avec les communautaires, afin que peu à peu ceux-ci s’affirment dans leurs choix, leur prise de décisions, la valorisation de leur culture, de leur vie, et que finalement ils parviennent à prendre en charge leur propre développement.

            Trop longtemps, on a voulu décider du développement des autres, basant celui-ci sur nos propres critères [3], en étant sûrs que ce soit le meilleur pour eux. Les résultats obtenus répondent-ils aux véritables nécessités des bénéficiaires?... On a trop vu des infrastructures à coût élevé rester inutilisées: marchés couverts et construits de type européen, latrines, urbanisation et amélioration de l’habitat,...

Mais on a vu aussi les mêmes réalisations fonctionner à merveille.

Pourquoi? De qui provient la demande? Correspond-elle à un besoin profond des sollicitants? Ou est-ce seulement une réalisation à la demande des autorités locales, des organismes financiers, ou d’autres personnes convaincues de son utilité pour les bénéficiaires?

Les bénéficiaires eux-mêmes sont-ils en capacité de définir le chemin qu’ils souhaitent pour eux-mêmes? Et s’ils ne le sont pas, n'est-ce pas notre premier travail de le leur permettre?...

            Depuis le début de l'année 96, ATEC a décidé d'emprunter ce chemin, un chemin difficile à expliquer à tous les niveaux: difficile de faire comprendre aux communautaires le sens de cette démarche; difficile de le faire comprendre aux nouveaux intégrants d'ATEC; difficile de le faire comprendre à l'entourage; difficile de le faire comprendre aux amis qui soutiennent les projets d'ATEC.

            En réalité, chacun suit sa route, selon des horizons différents (à Pisaquiri, à Potosi, en France,...). Chacun vit des réalités différentes, a des préoccupations différentes, des cultures et des niveaux de réflexion différents. Mais notre force, c'est l'aptitude de chacun à être à l'écoute de l'autre, et qui va nous permettre d'avancer ensemble.

 

 

 

 

Thierry et Françoise

Michalot-Estival.

Potosi, Avril 96

                                  

 

 


[1] aguayo: pièce de tissage porté sur le dos qui sert à porter l'enfant ou porter des charges.

[2] picheo: temps collectif oú l'on mastique la feuille de coca, se faisant passer sa "chuspa" ou petit sac tissé de l'un à l'autre.

[3] nos propres critères: dans ce cas, il ne s'agit pas seulement de nos critères de nous européens, mais aussi de toute personne étrangère aux bénéficiaires.

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